Viviane Gonick, ergonome et militante féministe, est une grande perte pour la science en ergonomie. Elle faisait partie de « l’équipe genevoise » ECOTRA, crée par Paule Rey, à la chaire d’ergonomie et de médecine du travail de la Faculté de médecine de Genève en Suisse, avec Sylviane Blaire, Jacqueline Crespy, Marie-José Lamarche, Jean-Jacques Meyer, Edmée Ollagnier, Daniel Ramaciotti et d’autres ergonomes. Elle a ensuite travaillé à l’Institut Romand de Santé au Travail (IST) à Lausanne jusqu’à sa retraite.
Viviane portait dans ses recherches et sur le terrain ses convictions personnelles sans jamais oublier la question de la reconnaissance du travail des femmes. Elle revendiquait l’imbrication de ses sphères professionnelle, militante et personnelle- et notamment son choix de travailler à mi-temps pour se consacrer à d’autres activités, associatives, bénévoles, familiales et autres. Son militantisme s’exprimait notamment en intégrant la question du féminin/masculin dans ses sujets de recherche, pour faire bouger les représentations, mais aussi participer à la transformation du travail – ce qu’elle fit lors d’interventions dans des milieux divers (l’industrie avec des horaires atypiques, les gendarmes, les postiers et postières, l’humanitaire, les enseignant-es, …etc.).
Son apport est celui d’avoir montré des caractéristiques différentes des postes de travail occupés par les hommes et par les femmes dans le milieu de l’industrie et des services. « La division sexuelle des rôles et du travail est toujours présente dans le monde des entreprises, même si de façon plus détournée » (Gonik, Ollagnier 2007 SELF texte non publié). Le travail, les tâches assignées, les effets de celui-ci sur le corps ne sont pas neutres, le « sexe du travail » devrait être davantage pris en compte par les ergonomes dans leurs interventions et la production de connaissances. Une analyse plus détaillée et une observation « in situ » montrent bien que les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes places au sein de l’entreprise.
Viviane et Edmée se sont battues pour que cette approche du « genre » en tant que rapports sociaux de sexe soit intégrée dans l’analyse et la transformation du travail, en reprenant les grands principes de l’ergonomie : les spécificités des relations personnes-postes de travail, l’adaptation du travail à l’être humain, le rapport au travail des collectifs de femmes ou d’hommes. La déconstruction des stéréotypes est importante pour sortir des discriminations et celle-ci est possible grâce aux outils d’analyse de l’activité, qui permettent notamment de reconnaitre des compétences cachées non reconnues.
Avec Edmée Ollagnier, en tant que co-organisatrices du congrès de la SELF à Genève en 2004, elles ont réussi l’exploit, dans l’histoire des congrès, frileuse à cette époque sur ce sujet, à faire organiser une conférence plénière portant sur genre, sexe, et ergonomie en faisant intervenir Karen Messing, du Québec. Elles ont aussi, avec Sandrine Caroly, Marianne De Troyer, Marianne Lacomblez, Livia Scheller, Catherine Teiger, fondé un groupe européen, GAS (Genre Activité Santé) soutenu par l’IEA (avec la création d’un comité technique sur le thème « Gender and Work ») pour défendre cette nécessité d’une prise en compte du genre dans les études ergonomiques. Florence Chappert de l’ANACT a ensuite rejoint le groupe et a pu bénéficier de l’accompagnement de Viviane et Edmée pour construire cette thématique délicate à manier dans les entreprises.
Viviane Gonik a montré qu’il faut sortir d’une recherche de complémentarité, qui est en soi un stéréotype sexué, mais plutôt chercher des voies vers l’égalité en luttant contre les discriminations.
On aimera aussi rappeler qu’elle a été pionnière dans beaucoup de mouvements pour la libération des femmes et l’égalité des hommes et des femmes en Suisse. Elle a notamment fait partie d’un des premiers groupes féministes à Genève dans les années 60, «l’insoumise», qui revendiquait le salaire du travail ménager. Passionnée de radio et de cinéma, elle a aussi co-fondé et animé pendant sa carrière une radio libre féministe « Radio pleine lune » et à la retraite un cinéclub « MetroBoulotKino », lieu d’échange autour de films sur le monde du travail, visant à dénoncer et faire cogiter sur les inégalités, les questions de genre, la luttes des classes, l’évolution des entreprises.
Les discussions avec Viviane étaient passionnées, passionnantes, déstabilisantes, mais participant toujours à une reconstruction. D’ailleurs, quand elle trouvait les discussions dans les congrès sans sens, elle quittait la salle pour aller se promener avec ses copines.
Pour terminer cet hommage sur une touche plus personnelle : Viviane aimait tirer la langue pour rire ou exprimer ses désaccords. On se souviendra de sa voix, de son sourire et de sa défiance face aux stéréotypes qui nous entourent.
Le groupe GAS
17/05/2022
Photo: conférence donnée par Viviane Gonik dans le cadre de l'événement MARX2018 organisé par le Groupe vaudois de philosophie. https://www.youtube.com/watch?v=eWtEZcqCvlE
Découvrir les articles de Viviane Gonik sur le travail dans le quotidien "Le Courrier":
Communication de Viviane Gonik, Karen Messing, Edmée Ollagnier et Catherine Teiger au congrès la SELF de 2013, "L’émergence de la problématique de genre en ergonomie":
Proposition de Viviane et Edmée soumise pour le congrès de la SELF 2007 (non publié):
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